La lutte contre la corruption s’intensifie : sanctions renforcées et nouvelles stratégies

Face à l’ampleur croissante de la corruption, les autorités durcissent le ton. Amendes record, peines de prison allongées, confiscations étendues : les sanctions se multiplient et se diversifient pour endiguer ce fléau qui mine l’économie et la démocratie.

Un arsenal juridique en constante évolution

La loi Sapin II, adoptée en 2016, a marqué un tournant dans la lutte anticorruption en France. Elle a notamment créé l’Agence française anticorruption (AFA) et instauré l’obligation pour les grandes entreprises de mettre en place des programmes de conformité. Depuis, l’arsenal juridique n’a cessé de se renforcer. En 2020, la loi contre le gaspillage a étendu les pouvoirs de l’AFA, lui permettant désormais de sanctionner directement les manquements aux obligations de prévention et de détection de la corruption.

Au niveau international, la Convention de l’OCDE sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers et la Convention des Nations Unies contre la corruption constituent le socle de la coopération entre États. Ces textes imposent aux pays signataires d’incriminer la corruption transnationale et de prévoir des sanctions « efficaces, proportionnées et dissuasives ».

Des amendes records pour les entreprises

Les sanctions financières infligées aux entreprises coupables de corruption atteignent des sommets vertigineux. En 2020, Airbus a accepté de payer une amende de 3,6 milliards d’euros dans le cadre d’un accord global avec les autorités françaises, britanniques et américaines. Ce montant record illustre la volonté des autorités de frapper fort pour dissuader les comportements frauduleux.

En France, la Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), introduite par la loi Sapin II, permet aux entreprises de négocier une amende sans reconnaissance de culpabilité. Ce mécanisme, inspiré du « Deferred Prosecution Agreement » anglo-saxon, vise à accélérer le traitement des affaires de corruption tout en garantissant des sanctions conséquentes. Depuis sa création, plusieurs CJIP ont été conclues, avec des amendes allant jusqu’à 500 millions d’euros.

Peines de prison : la menace se précise pour les dirigeants

Si les amendes touchent principalement les personnes morales, les peines de prison visent directement les individus impliqués dans des faits de corruption. En France, la corruption active et passive est punie de 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 million d’euros, dont le montant peut être porté au double du produit de l’infraction. Ces peines peuvent être alourdies en cas de circonstances aggravantes.

La justice n’hésite plus à prononcer des peines fermes contre les hauts dirigeants. L’affaire Samsung en Corée du Sud en est un exemple frappant : en 2021, l’héritier du groupe, Lee Jae-yong, a été condamné à 2 ans et demi de prison pour corruption. Aux États-Unis, les procureurs fédéraux requièrent régulièrement des peines de prison contre les cadres impliqués dans des schémas de corruption internationale.

Confiscations et interdictions professionnelles : frapper au portefeuille

Au-delà des amendes et des peines de prison, les tribunaux disposent d’un large éventail de sanctions complémentaires pour frapper les corrupteurs au portefeuille. La confiscation des biens ayant servi à commettre l’infraction ou qui en sont le produit est systématiquement prononcée. Cette mesure peut s’étendre à l’ensemble du patrimoine du condamné lorsque l’origine licite des biens ne peut être prouvée.

Les interdictions professionnelles constituent une autre arme redoutable. Les personnes condamnées pour corruption peuvent se voir interdire d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle en lien avec l’infraction commise. Pour les dirigeants d’entreprise, ces interdictions peuvent signifier la fin de leur carrière et une perte financière considérable.

La coopération internationale s’intensifie

La lutte contre la corruption ne connaît pas de frontières. Les autorités de différents pays collaborent de plus en plus étroitement pour traquer les flux financiers illicites et sanctionner les entreprises multinationales. Les accords de coopération judiciaire se multiplient, facilitant l’échange d’informations et la coordination des enquêtes.

Le Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) américain joue un rôle central dans cette coopération. Sa portée extraterritoriale permet aux autorités américaines de poursuivre des entreprises étrangères dès lors qu’elles ont un lien, même ténu, avec les États-Unis. Les amendes record infligées par le Department of Justice et la Securities and Exchange Commission ont un effet dissuasif bien au-delà des frontières américaines.

Vers une responsabilisation accrue des entreprises

Les sanctions ne se limitent plus à punir les actes de corruption avérés. Les autorités mettent désormais l’accent sur la prévention et la détection des risques. Les entreprises sont tenues de mettre en place des programmes de conformité robustes, sous peine de sanctions en cas de manquements.

La loi Sapin II impose ainsi aux grandes entreprises françaises de déployer huit mesures anticorruption, dont une cartographie des risques, un code de conduite et des procédures d’alerte interne. L’AFA contrôle la mise en œuvre effective de ces dispositifs et peut sanctionner les entreprises défaillantes, indépendamment de toute infraction constatée.

La protection des lanceurs d’alerte : un enjeu majeur

La détection de la corruption repose souvent sur le signalement d’irrégularités par des employés ou des tiers. Reconnaissant le rôle crucial des lanceurs d’alerte, de nombreux pays ont adopté des législations pour les protéger contre les représailles. En France, la loi Waserman de 2022 a renforcé le statut des lanceurs d’alerte, élargissant leur définition et améliorant leur protection.

Ces dispositifs s’accompagnent de sanctions dissuasives pour les entreprises qui tenteraient d’entraver le signalement d’alertes ou de sanctionner les lanceurs d’alerte. Les autorités entendent ainsi créer un environnement favorable à la dénonciation des faits de corruption, complétant l’arsenal répressif par une approche préventive.

La lutte contre la corruption s’intensifie à l’échelle mondiale. Les sanctions se durcissent et se diversifient, touchant aussi bien les entreprises que les individus. Cette évolution reflète une prise de conscience collective des dégâts causés par la corruption et une volonté politique forte d’y mettre un terme. Face à ce durcissement, les entreprises n’ont d’autre choix que de renforcer leurs dispositifs anticorruption pour éviter des sanctions potentiellement dévastatrices.